Accompagner les productions dans leur transition écologique

2 février 2023
Ces dernières années, de nombreux organismes ont vu le jour avec pour mission d’accompagner les sociétés de production vers des tournages plus verts. Portrait de quelques-unes de ces initiatives, qui forment ensemble un véritable écosystème.
SECOYA

Ses immenses plateaux de tournage tapissés de panneaux solaires sont devenus sa signature : la société Provence Studios, à Martigues (13), qui a accueilli les tournages des Tuches, de Taxi 5 ou encore de Titane, fait de l’écologie l’un de ses principaux arguments commerciaux. Les panneaux photovoltaïques permettent au site d’être totalement autonome en électricité, tandis que les tournages sous-marins se font avec de l’eau de pluie puisée dans des bassins de récupération, afin d’éviter de consommer de l’eau potable. « J’étais auparavant dans le transport routier, et j’avais envie de réparer ma trace carbone » raconte Olivier Marchetti, le fondateur de Provence Studios. « Au départ, c’était vraiment une démarche personnelle, pas une envie marketing. Mais aujourd’hui, c’est un vrai facteur d’attractivité », reconnait-il, tout en soulignant que c’est parce que ses studios sont jeunes qu’il a pu, dès leur création, les focaliser sur l’écologie. L’ensemble de l’impact carbone du site, où sont même présentes quelques ruches, est mesuré par l’agence Secoya Eco-Tournage. « On travaille même avec Secoya sur un moteur de calcul de l’empreinte carbone adapté particulièrement à Provence Studios », annonce Olivier Marchetti. 

Eco-tournages

Se présentant comme une « agence de conseil spécialisée dans l’application de stratégies RSE au monde de l’audiovisuel, du cinéma et de la publicité », Secoya Eco-Tournage accompagne des productions et des sociétés du secteur pour limiter leur impact environnemental. « On préfère parler de production responsable plutôt que d’éco-production », explique le co-fondateur Charles Gachet-Dieuzeide. « Faire un film en disant que tout est green mais en délocalisant en Europe de l’est, ce n’est pas très vertueux », insiste-t-il, rappelant la nécessité d’avoir une vision d’ensemble du projet. La société analyse et réfléchit aux solutions à mettre en place pour un tournage le plus respectueux de l’environnement possible. Pour ce faire, Secoya indique s’appuyer sur un écosystème « unique », composé de sociétés de l’Economie Sociale et Solidaire, ainsi que d’institutions et de collectivités « responsables et engagées ». « Concrètement, on travaille en partenariat avec 400 sociétés en France, des fournisseurs de catering écoresponsables, de véhicules électriques, de batteries, etc. », poursuit Charles Gachet-Dieuzeide. Un ensemble de fournisseurs, prestataires et partenaires que les sociétés de production clientes de Secoya retrouvent dans « Secoset », l’outil de tournage éco-responsable développé par l’entreprise. « C’est 2900 euros pour l’accès à cet outil en ligne », précise Charles Gachet-Dieuzeide, qui cite UGC, Nolita et Haut et Court dans ses utilisateurs réguliers. Pour des clients d’envergures internationale, Secoya propose un accompagnement plus important, avec du conseil personnalisé et la formation de référents à même de mettre en place la démarche éco-responsable sur les tournages. 

Afin de faciliter le travail de ces éco-référents (ou « green managers »), d’autres sociétés ont développé des solutions innovantes, permettant de simplifier ce nouvel élément écologique à prendre en compte venant s’ajouter des productions déjà complexes. Société belge présente également en France, The Green Shot a ainsi plusieurs solutions, à travers notamment des applications mobiles, afin de « diminuer le niveau de stress et les risques financiers, tout en accélérant les choix éco-responsables », comme l’indique sa co-fondatrice Véronique Pevtschin. Il s’agit principalement d’une plateforme permettant à la fois à chaque technicien de gérer au quotidien sa vie sur le plateau (contrats, dépenses, logements), tout en calculant en temps réel la dépense carbone de la production, grâce aux données collectées à travers l’utilisation de l’application.

Transmettre et former

Pour préparer les professionnels aux productions bas-carbone, de nombreux organismes comme The Media Faculty, La Base, Secoya ou Ecoprod proposent des formations. Certaines sont de simples journées ou week-ends de sensibilisation, d’autres sont de véritables sessions de plusieurs mois, avec une certification à la clé (la CPNEF de l’audiovisuel a ainsi créé un Certificat de compétence professionnelle intitulé « Déployer une démarche écoresponsable dans sa pratique professionnelle au sein de la production audiovisuelle et cinéma ») - pouvant être mise en avant dans un CV. C’est le cas de la formation d’éco-responsabilité en régie et gestion de production proposée par la CST en partenariat avec Ecoprod et l’INA. Benjamin Clauzier, régisseur général et repéreur, a fait partie de la première promotion de cette formation. Sensible aux questions d’écologie, dans la vidéo réalisée pour la publicité de la formation il notait que les tournages « n’étaient en général pas très écolo ». Il est lucide et sait que les sociétés auront de plus en plus tout intérêt à embaucher des gens formés à ces sujets. En effet, les obligations légales, la prise de conscience collective et le besoin de communication entrainent une demande croissante de professionnels formés. De nombreuses nouvelles formations voient donc le jour, comme celle de l’école de cinéma lyonnaise La Cinéfabrique, toujours en partenariat avec Ecoprod, qui visera dès avril prochain à former les jeunes professionnels au sujet. En attendant, depuis la rentrée de 2022, la plupart des écoles du secteur - la Fémis, la Cinéfabrique, l’ENS Ecole Louis Lumière, l’ESRA, l’Ecole de la poudrière ou Les Gobelins - proposent un module d’une demi-journée de formation aux sujets environnementaux. Initié par le CNC dans le cadre de son Plan Action !, cette formation est assurée par La Base, Secoya et le Bureau des acclimatations, dans le but de sensibiliser l’ensemble des futurs professionnels aux enjeux environnementaux, et aux actions concrètes à mettre en place.


Ecosystèmes 

« Il n’y a pas que la production, tous les professionnels de la filière sont concernés », rappelle le producteur Julien Tricard. Particulièrement sensible aux questions d’écologie, Julien Tricard a co-fondé médiaClub’green, une émanation du médiaClub, importante association de professionnels de l’audiovisuel, afin de mener des actions de sensibilisation auprès des professionnels, et de lobbying auprès des décideurs, sur ces sujets. « Avec le médiaClub, nous avons une grande force de frappe en termes de communication », insiste le producteur. Persuadé que la transition écologique doit se faire dans la forme comme dans le fond des œuvres et des contenus, Julien Tricard sait aussi la difficulté d’attirer l’attention sur ses sujets, même s’ils semblent porteurs. « Il suffit de voir la faible audience que rencontrent les émissions sur l’écologie à la télévision », précise le producteur. C’est pourquoi, annonce-t-il, « avec l’Observatoire des Images et le think tank Imagine2050, le médiaClub lance ACT - Audiovisuel et Cinéma en Transition – une entité dédiée à l’accompagnement des acteurs du secteur dans leur réflexion sur l’adaptation des contenus audiovisuels et cinéma aux efforts de transition RSE – du point de vue social, sociétal et environnemental ». De petits groupes de réflexion, « composés de décideurs du secteur audiovisuel et de chercheurs à la pointe » pour réfléchir au sujet à l’occasion d’ateliers et de séminaires. 

Secoya, Ecoprod, médiaClub’green : les organismes peuvent sembler nombreux, mais ils sont souvent complémentaires, dans un véritable écosystème de l’accompagnement du secteur dans sa transition écologique. Ainsi, Julien Tricard intervient également pour une formation sur la production éco-responsable, dispensée chaque mois, aux côtés des co-fondateurs de Secoya. C’est en 2018, après une quinzaine années de travail en régie sur des tournages que Mathieu Delahousse et Charles Gachet-Dieuzeide, regrettant que leur secteur peine à se transformer pour être plus écoresponsable, décident de fonder Secoya Eco-tournage. « Il fallait créer une méthode pour accompagner les productions » insiste Charles Gachet-Dieuzeide. En quelques années, ils ont vu la filière se transformer. « Il y a une grande prise de conscience dorénavant. Il y a cinq ans, c’était encore trop tôt. Mais aujourd’hui le secteur est mature pour la transformation », analyse le co-fondateur. Et Secoya, lauréat du quatrième Programme Investissement d’Avenir en 2021 voit plus grand encore. « On développe un projet de plateforme RSE internationale de transformation éco-responsable ». Le co-fondateur n’en dit pas plus, mais des annonces sont à suivre « On est en pleine levée de fonds. Disons qu’on va passer au niveau supérieur ».

Pierre Charpilloz

Crédit photo : Secoya